Mathilde Maury Siméoni : “Dans la peinture, le matériel c’est la lumière…”

Du 15 mai au 28 Juin 2025, la galerie présente la première exposition solo de Mathilde Maury Siméoni, diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2023 (ateliers de Nina Childress, Goetz Arndt et Carol Leroy). Son travail questionne les limites entre mondes intérieurs et extérieurs, entre corps et paysage, et évoque une relation avec l’environnement où ce dernier serait perçu comme une extension du corps et du “Soi”, d’après sa propre expérience de vie en immersion dans la nature sauvage. Mathilde s’exprime au travers d’une large palette de média, souvent en grand format :  peinture sur bois, papier, toile, ainsi que sculpture de matériaux bruts tels que la pierre, le bois, le fer forgé et l'argile.

Entretien dans les Pyrénées..

"Fenêtre sur le couchant", acrylique et poudre de marbre sur tronc d’arbre sculpté, 57 x 67 cm

 

Delamour Gallery : quels sont vos thèmes de prédilection ?

Mathilde Maury Siméoni : Ce qui m'intéresse le plus, c’est ce qu’il y a autour de mon univers, là où je vis, dans la forêt et la montagne. On peut trouver dans mes peintures deux thèmes récurrents : la lumière, parce que la peinture c’est surtout une question de lumière, et le motif, la forme. En fait plus le motif que la forme dans la nature; c’est comme si en étudiant un peu la structuration des formes dans la nature, on comprend qu’il y a un nombre réduit de motifs, comme un vocabulaire de formes, et c’est à partir de ce nombre réduit de motifs que cela va se décliner à l’infini, avec des logiques de fractales. Quand on regarde en apparence, cela peut sembler chaotique, on peut se dire qu’il n’y a rien de géométrique, qu’il n’y a pas de motif fixe mais en fait si. Il y a une structure, une logique, une géométrie, et c’est quelque chose qui m'intéresse. J’ai une obsession : capter ce motif, à la fois dans ma manière d’observer le monde, et ensuite dans la peinture. C’est d’abord une manière de vivre, d’être au monde, de voir, parce que l’on peut très bien regarder sans voir ;  et ensuite, la peinture est une manière de fixer les motifs qui reviennent et qui m'obsèdent.

Par exemple, il y a la structure des branchages. Si on regarde ce motif-là, il se retrouve dans beaucoup d’autres choses dans la nature. Pas seulement chez les végétaux, mais aussi dans les cours d’eau. Toute forme de division qui part d’une source en branchements va être structurée de la même manière,  si je regarde le cours d’eau vu du ciel, les veines dans la montagnes, les crêtes. Il y a plusieurs échelles, microcosme, macrocosme, mais peu importe où l 'on regarde, on verra ces mêmes motifs qui se répètent.Dans les végétaux, dans les arbres, il y a un autre motif important : celui de l'écorce. C’est un motif qu’on retrouve dans toute forme de craquelure : la terre, un liquide qui a séché, l'écorce, la pierre. Tous les angles selon lesquels cela va se fendre, se fissurer, se craqueler, vont toujours être les mêmes. L’arbre c’est d’abord un sujet vivant, mais c’est aussi un sujet qui comporte en lui-même beaucoup de motifs, beaucoup de choses. Donc quand je peins l’arbre et les branchages, il n’y a pas que la branche en soi. Il y a aussi les motifs du ciel, la lumière qui passe entre les feuilles, entre les branches.  

Pour l’exposition, j’ai commencé à m'intéresser au motif du feu, qui est un peu le motif insaisissable de la lumière pure. C’est un motif qui est en mouvement, et dans le motif il y a toujours une connexion au mouvement. Déjà, c’est quelque chose qui est évolutif, qui n’est jamais fixé. Dans la nature, rien ne reste tel quel. Tout change, tout se transforme. À différentes échelles temporelles, si on regarde la pierre, la temporalité est très longue, mais si on prend le feu c’est l’opposé. C’est tellement rapide que c’est presque un motif insaisissable, pourtant n'importe qui sait reconnaître le feu. Il y a une forme qui se crée. Donc c’est un sujet qui est parfait car il mélange ces deux sujets qui m'intéressent en peinture : la lumière - donc la couleur- et le motif. Et c’est un défi, parce que de nos jours avec la photo on peut capturer le feu, le fixer, observer les petites langues de feu, les braises. Mais ce n’est pas la même impression que le feu vivant (NDLR - Mathilde travaille avec une approche impressionniste et veut retranscrire les impressions d'un moment, plus que le moment exact lui-même). Peu de peintures ont pour sujet central le feu. Le feu apparaît, mais le feu en soit comme une nature morte n'apparaît pas. C’est un peu un défi, quelque chose qui n'a pas été trop fait, trop vu.Et puis la lumière ! Dans la peinture, le matériel c’est la lumière. Il y a le moment et la manière de la regarder. Il y a l’impression de la lumière, plus que ce que l’on voit vraiment. Avec un appareil photo on peut prendre une certaine forme de la lumière, mais on ne peut pas obtenir l’impression qu’elle produit dans l'œil humain.

"Grand feu du Solstice d'hiver', acrylique sur bois , 140 x 122 cm

Delamour Gallery : vous parlez de ‘peinture vécue’, et du fait que vos toiles sont la représentation de  choses que vous vivez  tous les jours. 

Mathilde Maury Siméoni : Oui, la nature. Peindre des paysages, peindre la nature. Ce n'est pas une nature fantasmée. J'aime beaucoup la nature, et c’est important de ne pas la fantasmer. Ce n’est pas un monde imaginaire dont je veux parler. C’est très bien si les gens y trouvent une porte vers une imagination, mais ce que je veux avant tout faire c’est inviter à regarder des choses auxquelles on ne prête pas forcément attention. Peut-être qu’après avoir vu certaines choses représentées, on peut se dire qu’il y a un intérêt qu'on n'avait pas forcément au départ. On ne regardera peut-être pas la nature de la même manière. Ou la lumière, certains petits détails… Par exemple, la série des sources, je les appelle ‘sources’, mais le modèle de base, ce sont des petits canaux de bord de route, des petites choses  entre deux rochers, des écoulements d’eau.. Ça n'a rien de noble. C’est pas du tout la source fantasmée, mais quelque chose  de simple : de l’eau qui brille, qui coule, qui ruisselle entre deux rochers, un peu de mousse, deux trois plantes qui poussent.. Et même les feuilles mortes ! Ce n’est pas grave si elles sont mortes, ce n’est pas inintéressant, c’est beau, c’est profond. Des choses aussi simples que ça, ça contient des sujets plus complexes : la vie et la mort, leur interconnexion, avec l’eau qui coule entre et qui amène la vie. Et c’est sur la mort que la vie peut naître dans la nature, c'est comme ça que cela fonctionne; la terre c’est des corps composés de vivants, soit de plantes décomposées, soit d’insectes.. L’humus c’est de la mort qui devient vivante, qui devient le terreau duquel la vie peut émerger.

Je pars de sujets qui peuvent être inintéressants au plan esthétique, pas de beaux paysages spectaculaires, mais le bord de route, le canal, le ruisseau, le petit ruissellement entre des cailloux, de l’eau de pluie qui s’écoule… Selon la manière dont on le regarde, cela peut devenir des choses pleines de sublime, contenir des méditations sur des choses profondes… J'essaie de partir de sujets simples, et déjà pour moi, quand je les peins, c’est une manière de méditer dessus, de réfléchir. Dans la simplicité, il y a de la complexité. Si on regarde quelque chose d’insignifiant, on peut déjà y voir des réponses à nos questionnements, nos interrogations humaines. La nature c’est mon professeur de philosophie, de science, de spiritualité, d’histoire… De tout.

Tous nos questionnements humains, nos interrogations de sens, d’identité, les enjeux, les défis, les luttes : les arbres, les pierres, les cours d’eau, la mer, le ciel ont des réponses qu’on ne trouve pas ailleurs. Cela n’est qu’une fois connecté à ces choses-là qu’on apprend et qu’on comprend. Si l’on se sent dissocié de ce monde duquel on ne peut pas être dissocié, car on en dépend totalement - malgré notre illusion humaine d’être dissociés du reste du vivant - on ne comprend pas notre place. Une fois que disparait cette illusion de distance, de mondes séparés, on retrouve le sens, les réponses viennent. En observant les animaux, les éléments, on se pose des questions sur nos instincts, nos pulsions, la violence, la sexualité, les genres.. Tout…Il faut  méditer sur ces questions-là dans notre société humaine qui n’est que mentale, qui est une espèce de fiction collective qu’on appelle la culture qui change avec le temps, les époques, les langues, les lieux, mais qui n’est pas tangible, qui existe que dans notre esprit. Dès que l’on sort de cette boîte close et que l’on réfléchit au travers du corps avec les autres corps, dans la nature, la sensibilité à d’autres formes de vie, on va avoir des perspectives et une compréhension différentes.

"Soleil entre les branches", acrylique sur bois , 54 x 41,5 cm

 

 

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