Pascal Piermé : “Atteindre l’essentiel…”
« Sapience II » est la première exposition en France du sculpteur franco-américain Pascal Piermé, depuis son départ aux Etats-Unis en 1996. L’architectonique et le biomimétisme émergent sous divers vocabulaires tout au long de son œuvre qui s’étend sur trois décennies : la pratique de Piermé est à la fois empirique et intuitive, explorant les associations fluides entre le monde naturel et l’environnement construit, dans une approche presque toujours expérimentale. Le bois demeure, depuis ses débuts, le médium de prédilection de l’artiste.
L’exposition présente ses recherches les plus récentes en matière de sculpture murale, à travers ses deux séries les plus ambitieuses : les Origines et les Muraux. Chacune explore une relation singulière au volume, à la répétition et au rythme, révélant l’évolution continue de son travail autour de la forme et de la composition. Du 2 au 31 Octobre.
Pascal Piermé (Saint Raphaël, 1962) vit et travaille depuis 1996 à Santa Fé ( Nouveau Mexique), où sa fascination pour les grands espaces reste intacte, à la fois source d'inspiration, matière de ses créations et de son rapport au monde.
Son travail s’axe autour de plusieurs thèmes: l’équilibre, l’énergie, le mouvement, l’interconnexion des formes, souvent inspirés par la nature.
« L’équilibre, le mouvement et toutes les interconnexions à trouver qui en découlent — ces énergies à l’œuvre aussi bien dans la nature que dans les constructions humaines — sont des notions récurrentes dans mon travail. J’explore également l’idée d’assembler des éléments a priori incompatibles, et de faire émerger une cohérence à travers la tension des contrastes ».
“The inside of it 6”, bois d’aulne, 46 x 122 cm
Avec la série « Origines », l’artiste développe une approche cumulative et modulaire de la sculpture, en s’appuyant sur une technique singulière : chaque élément est sculpté manuellement, puis inclus dans un ensemble plus large qui forme l’œuvre, selon une logique d’assemblage libre. Cette méthode permet une grande souplesse dans le processus, et ouvre la voie à une forme d’improvisation, limitée en sculpture sur bois.
Pascal Piermé cite parmi ses premières influences Louise Nevelson, connue pour ses sculptures murales réalisées à partir de morceaux de bois récupérés et assemblés. À la différence de cette approche, Piermé fabrique lui-même chaque module — ce qui lui donne un meilleur contrôle sur la forme, tout en laissant place à l’intuition au moment de la composition.
Le bois, matériau réputé rigide et peu tolérant à l’erreur, devient ici un terrain d’expérimentation fluide : en sculptant chaque pièce individuellement, l’artiste invente un alphabet visuel fait de volumes, de rythmes, de textures et de couleurs. Les œuvres peuvent se lire de gauche à droite ou inversement, depuis un point fixe ou en déplacement, comme un paysage mental en relief.
« Les Origines sont pour moi une manière de m’exprimer par la répétition et la multiplicité. En variant les patines, les couleurs, les formes, chaque module devient une lettre dans une phrase, un mot dans un poème, une nuance dans une composition picturale.»
« Origines Temporelle 25» , acajou, 102 x 198 cm- collection particulière
La série « Muraux », constituée de bas-relief sur bois, se situe à la croisée de la peinture et de la sculpture.
« C’est une démarche plus directe, plus frontale — proche du peintre dans l’approche du plan, mais toujours fidèle à l’essence du sculpteur : penser en trois dimensions. Certains éléments sont ainsi travaillés en relief, intégrés dans la surface pour brouiller les repères entre volume et dessin.
J’y mêle une lecture topographique — vue du dessus — à notre perception horizontale habituelle, comme si plusieurs angles de regard coexistaient simultanément.
Ce jeu de perspectives invite à reconsidérer notre manière de voir l’espace. Une vision à plat, certes, mais habitée par la profondeur : une sorte de troisième dimension compressée, tendue entre représentation et abstraction »
« Recherche du Noir 7» ( 2025 ) – mixed media , 76 x 239 cm- collection particulière
Delamour Gallery : dans cette exposition, vous présentez presque exclusivement des sculptures en bois, qu’est-ce qui vous a conduit à préférer ce matériau au fil de votre carrière?
Pascal Piermé : j'ai travaillé avec d'autres médiums que le bois par le passé; j'ai commencé à travailler avec du béton, du plâtre, du verre brisé et de l'argile; j'ai utilisé beaucoup de résines sophistiquées, de plâtres, de moules, de gels, etc. J’ai finalement choisi le bois : j’étais attiré par son caractère unique, et par la manière dont chaque pièce semblait me guider, m’imposant sa propre direction au fil du travail.
Ces dernières années, j’ai également réalisé des sculptures en acier, en format classique comme en monumental pour l’extérieur. Ce changement de matériau a représenté un véritable défi — un langage radicalement différent, presque opposé à celui du bois.
Au final , je pourrais dire que le bois m'a choisi, me séduisant par sa beauté et son caractère intrinsèque. Il a une personnalité propre, capricieuse, qui résiste à tout contrôle. Il peut être fluide en apparence, tout en conservant une force solide – une tension dynamique entre le féminin et le masculin. Je suis convaincu que le bois conserve sa vitalité, possède une mémoire et une sensualité propre.
Dans votre carrière, vous êtes passé de sculptures en 3D à des sculptures murales. Pourquoi et comment cette orientation ?
Je pense que l’image en deux dimensions suggère, elle ouvre des pistes, laisse place à l’interprétation. La 3D, en revanche, est plus directe : c’est une affirmation, un statement.
Cette bascule m’a permis d’explorer un autre registre de dialogue avec le spectateur — moins frontal, plus subtil, presque introspectif.
Dans quelle direction pensez-vous que votre travail va s’orienter ?
Avec la maturité, mon travail évolue en même temps que moi. Chaque phase de ma pratique a constitué une étape essentielle de mon développement intérieur. Comme un véritable compagnon de vie, mon travail et moi semblons avoir atteint une forme de familiarité sereine. Cette assurance, cette présence constante, m’apporte une liberté croissante et confiante, rendant notre relation à la fois engageante et toujours plus intrigante. Au fond, mon intention, tant dans mon travail que dans ma vie, est de simplifier. C’est le défi le plus difficile pour moi, comme pour beaucoup d'artistes : atteindre l'essentiel, puis le reconnaître comme le véritable point d’arrivée.
« The day before » (2021) - acajou, 68 x 28 x 15 cm – collection particulière